Propos recueillis par Caroline Rainette

15 décembre 2021

Adrien Sassier est compositeur. Aussi bien nourri du symphonisme XXème et XXIème siècle (M. Ravel, R. Strauss, H. Dutilleux, J.-L. Florentz) que de l’éclectisme de la musique de film (J. Williams, J. Goldsmith, B. Herrmann, D. Elfmann), il a à cœur de composer aussi bien à l’image que pour le concert.

Racontez-nous votre parcours

Contrairement à la majorité des musiciens et compositeurs, j’ai commencé la musique assez tard. Je ne viens pas d’une famille de musiciens, et pour l’anecdote, cette passion de la musique m’est venue du patinage artistique. Vers 15 ans, je me suis rendu compte que je prenais encore plus de plaisir à composer le programme musical en lui-même qu’à patiner. Au même moment, je découvrais les musiques de film, porte d’entrée vers la musique classique grâce à leur héritage symphonique. Des compositeurs comme John Williams, Bernard Herrmann, Jerry Goldsmith, Maurice Jarre, Georges Delerue… m’ont particulièrement marqué en raison de leur raffinement, qualité, diversité, exigence.

À 16 ans, j’avais donc envie de composer. Mais je n’avais jamais appris la musique, en dehors du cours de musique au collège… J’ai décidé d’apprendre seul le solfège, avec l’ouvrage Le solfège pour les nuls. Or ce livre, très bien rédigé, couvre en réalité 8 années de conservatoire, ce que je constate en me rendant au conservatoire de Salon-de-Provence. Grâce à mon apprentissage solitaire, j’avais donc acquis la connaissance technique, manquait la pratique. Au conservatoire de Salon-de-Provence j’ai suivi en une année trois cours différents en rentrant en 4ème, 7ème et 8ème année. En même temps que mon bac, j’ai passé les deux cycles, et j’ai pu intégrer une classe de composition au CNRR de Marseille. Évidemment, mon professeur, Pierre-Adrien Charpy, s’est de prime abord dit qu’avec un an de solfège seulement, sans aucune connaissance de la composition, cela serait compliqué. Mais j’étais tellement motivé qu’il a accepté de me donner une chance, et je me suis accroché.

A 16 ans, j’avais envie de composer. Mais je n’avais jamais appris la musique.

J’ai fait un double cursus, composition d’une part, et master de comptabilité et gestion (vers l’expertise-comptable) d’autre part, pour me prémunir en cas d’échec côté musique. Les deux premières années ont été compliquées, je m’en sortais mieux dans les matières plus rationnelles et scolaires de la comptabilité, mais au bout de la deuxième année, quelque chose s’est débloqué côté musique à force de travail. Dans le même temps j’ai rencontré un ami, Hadi Taghzouti, pas du tout musicien mais très mélomane, qui m’a proposé de fonder une chaîne Youtube (anciennement SillaBO, à présent Point de Synchro) d’analyse de musiques de films, ce que je n’aurais jamais fait seul. Ces analyses, validées par mon professeur d’analyse et histoire de la musique Lionel Pons, étaient un exercice formidable pour ma progression en tant que compositeur. J’ai également rencontré d’autres Youtubeurs, avec lesquels nous partagions notre amour de la musique sous des prismes très différents : musique médiévale, biographies de compositeurs, musiques alternatives… C’était très enrichissant humainement et musicalement.

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En 2019, après mon prix de composition d’après les formes et les styles historiques, mon professeur souhaitait m’envoyer dans une structure spécialisée dans la musique de films. J’ai alors choisi d’entrer au conservatoire de Mons, en Belgique. Je suis entré en 2ème année de Musiques Appliquées et Interactives, dans la classe de Denis Pousseur et Jean-Luc Fafchamps, également des compositeurs contemporains reconnus.

En 2020 j’ai eu l’occasion de composer la BO d’une minisérie (7 fois 20 minutes), Le Monde de Bobby, réalisée par Coline Pagoda. C’était une très belle expérience car la réalisatrice a une vraie sensibilité musicale, elle a pris en considération la musique, avec une forte composante narrative, bien en amont du tournage. La musique est souvent (malheureusement) le dernier élément dont les réalisateurs et les producteurs s’occupent. Or pour ce projet nous avons pris le temps de discuter, d’échanger, de collaborer de manière pointue sur chaque scène, de trouver une solution pour les rares passages où nous étions en désaccord.

Parlez-nous de votre travail de composition

À Salon-de-Provence j’ai fait un an de piano, pour apprendre les bases. J’ai poursuivi seul sur Marseille, mon emploi du temps étant trop chargé pour suivre des cours, mais peut enfin les reprendre à Mons avec Marie-France Focant. Le piano est donc pour moi un instrument fonctionnel polyphonique de référence, mais mon véritable instrument, c’est l’orchestre : quand je compose j’entends plus facilement l’orchestre que le piano.

J’ai plusieurs méthodes pour composer, en fonction des pièces et des projets. Celle que j’affectionne tout particulièrement, c’est la composition avec la partition et le piano. En revanche je n’ai pas encore le niveau pour composer juste à la table, sans piano. Je peux le faire pour orchestrer, mais pas pour composer. J’écris souvent toute la partition à la main. Ensuite, je la grave et programme une modélisation sonore avec une banque de sons, soit pour donner une idée au réalisateur, soit directement en finalité quand il n’est pas possible d’enregistrer.

Parfois, pour gagner du temps, je fais la partition dans un second temps et compose directement sur le séquenceur. Mais je garde toujours en tête l’écriture de la partition, qui sert alors de relecture et mise au propre. Cette méthode, appliquée à l’image, permet d’avoir un retour immédiat, de voir si cela fonctionne ou non en dehors des critères purement musicaux : image et son peuvent ne pas s’imbriquer alors même que la musique seule est très belle.

Pour les petites pièces destinées à être jouées, il est souvent inutile que je passe par la programmation. Cela peut cependant être pratique pour les musiciens eux-mêmes dans le cadre de créations plus exigeantes dans leur mise en place (comme pour Le Pays Perdu, un concerto pour trombone commandé par Félix Pereira). D’autres fois encore je grave la partition directement sur l’ordinateur, et non sur le papier.

De manière générale, je compose plutôt vite, car je laisse un temps de maturation entre le début du projet où les contraintes sont fixées. Je compose alors intérieurement, et au moment où j’écris, tout est déjà un peu écrit dans ma tête : forme, durée, projet artistique. Je fais plus rarement des improvisations complètes, en enregistrant sur le clavier, et en retravaillant ensuite quelques détails.

Mais quelle que soit la formation, je reste toujours dans une démarche orchestrale : plaisir de jeu, écriture idiomatique pour les instruments. L’orchestration est presque le paramètre compositionnel que je préfère.

En ce qui concerne l’inspiration, je me nourris de films et évidemment de mes compositeurs favoris : John Williams, Maurice Ravel, Richard Strauss, Henri Dutilleux, Jean-Louis Florentz… qui ont un univers tellement fort que cela donne de magnifiques pistes. Mes deux parents pratiquants le bouddhisme, mon inspiration peut aussi venir de là. Et parfois ce sont des poèmes, des livres, mes proches, …

Racontez-nous votre expérience de composition pour les plectres

L’amitié est le point de départ de cette pièce, Voyage au-delà des cimes, avec ma rencontre avec Vincent Beer Demander à Marseille. Son travail pour réinvestir la classe de mandoline est formidable. Il a réussi à créer un engouement autour de cet instrument, pourtant méconnu (sinon mal connu), à enthousiasmer les élèves – petits comme grands – notamment avec la pratique collective de l’orchestre à plectres, formation calquée sur l’ensemble à cordes. Au CNRR de Marseille c’est assurément l’un des ensembles les plus dynamiques !

Dans ma classe de composition, personne n’avait encore eu l’initiative de composer pour les plectres, et j’avais pas mal d’amis dans cet orchestre, aussi me suis-je décidé à écrire pour eux. Elle m’a demandé plusieurs mois d’écriture (il s’agit de l’une de mes premières pièces), et c’était l’occasion d’explorer un langage harmonique plutôt nouveau pour moi. C’était à la fois une matérialisation de mon goût pour le post romantisme à la R. Strauss – avec des harmonies dont les plectres ont moins l’habitude – et une recherche de timbre – comme dans l’introduction à la texture très éthérée aux mandolines, la contrebasse en harmoniques très lointaine et un peu flutée, et les harmoniques de la guitare qui apportent un rebond presque harpistique. Je l’ai composé en petites sections, de manière à ce que cela reste ludique. Elle dure entre 3 et 5 minutes, en fonction du tempo.

L’orchestre à plectres du CRR de Marseille est composé d’une quarantaine de musiciens. Nous en avons pris 15 pour la travailler, et Vincent a réussi à la monter. Lors de la première répétition, l’esprit, le timbre, les textures, étaient exactement ce que j’avais imaginé. Il y avait cependant des points techniques à retravailler, comme une partie de guitare à simplifier, des traits de mandoles que j’avais réalisés un peu en déformation de l’alto, aux registres plus aigus, quelques réajustements pour que cela soit plus fluide. Quoiqu’il en soit la pièce sonnait très bien en orchestre, et pourrait aussi parfaitement sonner en quintette de solistes. J’ai donc effectué les modifications nécessaires après cette première répétition, ensuite il s’agissait surtout de travailler la mise en place et l’aisance des musiciens. Vincent Beer Demander m’a laissé diriger lors du concert des lauréats. C’était ma première expérience de direction. Mon professeur, Pierre-Adrien Charpy, m’a appris les bases (comment battre la mesure, jeter un regard aux bons pupitres avec anticipation, développer l’oreille), et les musiciens m’ont aussi fait des retours qui m’ont aidé. Pour John Williams, tout compositeur devrait savoir diriger, et je suis assez d’accord. Même si le compositeur ne devient pas chef, cela fait partie de la transmission de son propos compositionnel aux musiciens. On peut ainsi transmettre directement son œuvre, avec sa propre interprétation de l’œuvre. Quand il n’y a pas de chef disponible, c’est important de savoir diriger, de pouvoir mettre en confiance, même de pouvoir corriger en direct selon les besoins des musiciens, ce que le compositeur peut évidemment se permettre !

La contrainte imposée au musicien doit toujours être proportionnée à l’intérêt musical de la pièce.

J’ai beaucoup aimé cette expérience de direction, que j’ai poursuivi dans la classe de direction d’orchestre de Sébastien Boin à Marseille. Quand je suis arrivé à Mons, j’ai fondé un petit ensemble au sein du conservatoire, que je dirige, pour lequel je compose, où je peux mettre en application tout ce que Sébastien Boin m’a appris, comme chanter n’importe quelle partie pour aider un musicien, la clarté de battue, avoir un propos ludique, faire attention aux mises en place… L’échange avec les musiciens, la manière dont ils fonctionnent, leurs aises, est très instructif, et cela permet d’anticiper dans la composition, même de composer sur mesure.

Pour moi, le plus important dans une composition est de respecter l’équilibre entre l’aboutissement du projet artistique et le plaisir de jeu des musiciens. La contrainte imposée au musicien doit toujours être proportionnée à l’intérêt musical de la pièce. On ne peut pas garantir le plaisir de jeu tout au long d’une œuvre, et chacun a ses goûts, aussi l’équilibre entre l’intérêt du musicien et l’intérêt du compositeur est primordial, et cette recherche est passionnante.

Que pensez-vous de ce projet d’enregistrements collectifs ?

L’idée des enregistrements collectifs est excellente. On conserve cette tradition de stimuler la créativité de l’interprétation par la création. Évidemment il faut s’appuyer sur le répertoire, mais la création est indispensable, l’histoire de la musique doit continuer. Ce projet est donc formidable dans son rapport aux compositeurs. Quant au numérique, il permet de stimuler cette interactivité avec un outil que les plus jeunes musiciens maitrisent déjà : ils sont quasiment tous nés avec un ordinateur dans les mains, et pour les plus jeunes encore avec Internet. Casser cette frontière entre Internet et la musique est une bonne chose, car Internet offre un formidable accès à la culture : on peut y trouver plein de versions d’une même œuvre, chercher les partitions tombées dans le domaine public… Utiliser cet outil comme référence, c’est donc une mise en adéquation avec notre époque. C’est d’ailleurs le même principe qu’appliquent les chanteurs depuis des décennies : ils écoutent des enregistrements.

Bien sûr il faut aussi prendre du recul par rapport à l’outil : l’enregistrement MIDI impose un certain tempo, mais le chef doit pouvoir modifier cette proposition. Ceci n’est évidemment pas possible pour les enregistrements collectifs où le tempo est défini d’emblée. Mais lors d’une reprise en orchestre par exemple, le chef a toute liberté quant à son interprétation. En revanche, dans les enregistrements collectifs les musiciens doivent être libres dans leur musicalité, il ne faut surtout pas qu’ils se fient au son MIDI ! J’ai d’ailleurs volontairement laissé des sons assez laids pour que cela ne ressemble pas trop à ce que doit donner l’instrument. Le fichier midi est un tuteur, et non pas un calque sur lequel les musiciens doivent se fondre. L’outil numérique pour les musiciens, comme la MAO (musique assistée par ordinateur) pour les compositeurs, est formidable, mais doit rester un bras, une simple aide. Le système ne doit pas composer ou interpréter à la place de l’humain.

J’espère que ce projet d’enregistrements collectifs plaira aux musiciens, qu’ils seront contents d’avoir peut-être découvert un outil, qu’ils utiliseront ou non à l’avenir. J’espère également qu’ils seront contents de la pièce, car quand il est important que cela plaise quand on passe du temps à se plonger dans l’esthétique de quelqu’un. Enfin j’espère qu’ils auront envie de renouveler l’expérience.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Sans demander toujours une place au premier plan ou un poids prépondérant de la musique, loin s’en faut, n’oublions pas qu’elle peut endosser un rôle narratif ; or, on lui retire assez souvent cet aspect. Même en arrière-plan, la musique requiert un certain raffinement ! Il est d’autant plus paradoxal de délaisser la musique dans l’audiovisuel en France (que ce soit dans l’écriture comme dans l’enregistrement ou le mixage) quand on sait que la première BO a été composée par Camille Saint Saëns, et que beaucoup de grands compositeurs ont suivi dans ce domaine (Henri Sauguet, Georges Auric, Arthur Honegger, Maurice Jarre, Georges Delerue, Laurent Petitgirard, …).

Or, le compositeur de musique de film sait s’intégrer au projet artistique du réalisateur, et pourra le conseiller dans cette optique pour sublimer son expressivité et varier les flux narratifs. L’aspect financier est souvent pris comme excuse, mais il est possible de faire de très belles musiques avec seulement un piano, un violon… Il n’y a pas que l’orchestre. On peut aussi diminuer la durée de la musique au lieu de vouloir remplir absolument. J’observe ce problème de considération de la musique de film à de nombreuses époques en France, mais malheureusement aujourd’hui un peu partout, même aux Etats-Unis. La musique est désormais considérée comme quelque chose de purement fonctionnel, voire pire, accessoire.

Actuellement je travaille avec un chorégraphe, Rémy Mpuki sur un spectacle de danse en Belgique, une co-composition avec Thomas Arnett. C’est vraiment une nouvelle expérience très intéressante car le chorégraphe n’a aucun préjugé sur la musique, et attend même de l’entendre pour réfléchir à la chorégraphie. Nous travaillons de manière totalement complémentaire, également avec les danseurs, en fonction de l’histoire qu’il veut raconter.

Le rapport à l’image m’a toujours séduit : la collaboration avec d’autres artistes, d’autres disciplines, permet (et même encourage) une ouverture stylistique, nécessite de trouver des solutions que nous n’aurions jamais imaginées seul, d’être poussé dans ses retranchements et de sortir de sa zone de confort. Et cela impose dans le même temps d’avoir une rigueur dans son esthétique, de rester fidèle à son identité artistique.