Propos recueillis par Caroline Rainette

15 novembre 2021

Originaire de Paris, Jane Latron est cheffe d‘orchestre et clarinettiste. Elle a obtenu le DADSM en 2021 et suit actuellement une double licence direction d’orchestre et direction de chœur au Pôle Supérieur de Paris Boulogne-Billancourt.

Racontez-nous votre parcours

Depuis petite je baigne dans le milieu artistique : mon père est ingénieur du son et ma mère chorégraphe. Je suis entrée au conservatoire du 11ème arrondissement de Paris à l’âge de 6 ans en clarinette, ensuite j’ai également pratiqué les percussions. À 8 ans j’ai fait mes premiers pas dans l’orchestre d’harmonie, en petite clarinette 3. J’ai alors découvert ce monde du collectif, qui m’a particulièrement touché. À 12 ans, par hasard, j’ai pu avoir une première expérience de direction : notre chef était en retard et le régisseur – que je connaissais bien pour déménager souvent les instruments avec lui – m’a proposé de commencer la répétition alors que je ne savais pas du tout comment faire, comment lire une partition d’orchestre, faire les gestes adéquats, etc. Mais ce fut une révélation : je devais faire ce métier et rien d’autre ! J’ai dû attendre l’âge de 16 ans pour intégrer les cours de direction, dans la classe du chef américain Adrian McDonnell, avec qui j’ai passé mon DEM au CRR de Paris.

Je devais faire ce métier et rien d’autre ! 

Actuellement je suis en double licence direction d’orchestre et direction de chœur au Pôle Supérieur de Paris Boulogne-Billancourt (PSPBB). Je suis également diplômée de la Haute Ecole des Arts du Rhin (HEAR) en direction d’orchestre spécialisation musique contemporaine, sous la direction de Jean-Philippe Wurtz. Je participe aussi à beaucoup de masterclass en France et à l’international, par exemple avec l’Orchestre national de Metz sous la direction de David Reiland, ou encore au Royal Northern College of Manchester avec Benjamin Zander.

Je travaille par ailleurs au conservatoire du 19ème arrondissement de Paris en tant que coordinatrice et cheffe d’orchestre avec les classes CHAM et avec les orchestres d’harmonie et symphonique. Je collabore également avec l’orchestre du lycée Henri IV, un orchestre amateur symphonique qui rassemble les élèves et professeurs du lycée et de la prépa.

J’interviens de plus en plus dans des orchestres professionnels, et je participe à des concours de poste de chef assistant. Ainsi j’ai été sélectionnée deux fois par le chef Case Scaglione pour faire partie des cinq finalistes internationaux avec l’ONDIF (Orchestre National d’Ile-de-France). Finaliste du “Warsaw Wind Ensemble Conducting Competition 2021“, je pars en Pologne début décembre. En février 2022, je suis cheffe invitée à l’Opéra de Nice pour diriger deux concerts avec l’Orchestre Philharmonique de Nice et le chœur de l’Opéra. Et en janvier 2023, je suis cheffe invitée à la Philharmonie de Paris pour diriger le week-end des orchestres amateurs.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience avec les amateurs ?

Je connais bien les orchestres amateurs pour y avoir joué depuis toute petite. À 14-15 ans j’ai intégré les rangs de l’orchestre d’harmonie de Paris, la Sirène (qui existe depuis 1874 !), en clarinette puis clarinette basse. En 2016 je suis devenue cheffe assistante de la Sirène pendant 4 ans, ce qui m’a énormément apporté. Le chef, Fabrice Colas, est un des plus grands chefs actuels. Il m’a formé sur le répertoire, sur l’histoire de l’harmonie, etc., ce qui me sert quotidiennement dans ma carrière, aussi bien dans le milieu amateur que professionnel, et que ce soit pour l’harmonie ou le symphonique.

En effet, paradoxalement, il est très compliqué en classe de direction d’avoir des expériences avec des orchestres, car cela a un coût. On travaille avec des pianistes, mais ça n’est pas la même chose que diriger un orchestre : conduire 50 ou 60 musiciens ne procure pas du tout les mêmes sensations. Ce n’est donc pas en formation qu’on apprend réellement le métier. De plus, les programmes de direction d’orchestre sont consacrés exclusivement à l’étude du répertoire symphonique. Or on ne dirige pas les instruments à vents comme on dirige le symphonique, ce ne sont pas les mêmes réflexes qui sont mis en œuvre. C’est très différent et en même temps très complémentaire.

L’orchestre amateur procure toujours une impression très forte.

Quoiqu’il en soit, que je dirige des amateurs ou des professionnels, j’arrive avec la même exigence. Avec les professionnels le temps de répétition est plus court, alors qu’avec les amateurs il faut adapter le programme, pour des raisons techniques. Mais en termes de musique, je m’adresse aux deux de la même façon, ils ressentent la musique de la même manière. Cependant l’orchestre amateur procure toujours une impression très forte : les premières lectures de programme sont souvent compliquées, mais le chemin parcouru jusqu’au concert est extrêmement gratifiant, aussi bien pour le chef que pour les musiciens. L’orchestre est une petite société, le niveau global n’y est pas toujours homogène, il faut s’adapter pour faire un projet commun, mais c’est une équipe et donc une force, les musiciens se portent les uns les autres.

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Parlez-nous du répertoire musical que vous travaillez avec vos orchestres

À titre personnel, les compositeurs qui me touchent le plus sont les trois « B » : Beethoven, Brahms et Bernstein. Mais pour l’harmonie, je souhaite promouvoir le répertoire original. J’aime beaucoup les œuvres d’Anthony Girard, Maxime Aulio, Yan Burakovski… La création contemporaine est très importante, il faut la défendre et créer du répertoire. Par ailleurs, il est nécessaire de défendre la création féminine, on voit trop peu d’œuvre de compositrices. C’est pourquoi avec la Sirène nous préparons pour mars 2022 la création de quatre œuvres de jeunes femmes compositrices pour orchestre d’harmonie.

Le répertoire contemporain fait peur aux musiciens amateurs, il y a beaucoup de méconnaissances et d’a priori. Il faut aborder ce répertoire différemment, en parlant de couleurs, de timbres. Il faut expliquer qu’on ne recherche plus nécessairement une jolie mélodie, comme autrefois, mais des émotions, des couleurs, une masse, une expérience.

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Racontez-nous une ou deux anecdotes qui vous a/ont marqué

J’ai un excellent souvenir avec la Sirène en 2019, pour célébrer les 50 ans des premiers pas de l’homme sur la lune et la mission Apollo 11. Nous avions programmé la Symphonie de l’espace de Maxime Aulio, une symphonie originale pour orchestre d’harmonie, en grand effectif, avec également des ondes Martenot, un thérémine, un chœur mixte, une bande son. C’était fou de programmer cette symphonie qui présente tant de difficultés pour l’orchestre (la Sirène a un bon niveau, 3ème cycle et plus, mais il y a des musiciens qui n’ont que 3-4 années d’expérience, qui vont progresser grâce au collectif) mais aussi pour le chœur qui devait gérer 5 ou 6 langues différentes dans son texte ! En l’occurrence il s’agissait d’un chœur amateur, le chœur Chorus 14, dirigé par Dominique Sourisse. Je me rappelle avoir passé de longues nuits blanches à étudier la partition pour monter ce programme !

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Avec les professionnels j’ai vécu une expérience formidable avec un projet du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris : en janvier 2020 nous avons créé une comédie musicale, The long play, composée par les élèves en cursus métier du son. Dans ce projet où j’étais directrice musicale, en binôme avec Isabelle Georges pour la mise en scène, différents domaines et pôles du conservatoire étaient regroupés : des musiciens classiques et jazz (qui ne jouent habituellement jamais ensemble), des chanteurs lyriques, des danseurs classiques et contemporains (qui eux aussi ne dansent jamais ensemble), des ingénieurs du son. C’est extraordinaire et extrêmement riche de voir tout le monde travailler ensemble.

Vous avez passé le DADSM, racontez-nous

J’ai passé le DADSM spécialité harmonie à la session de 2021. Je travaille régulièrement en tant que cheffe assistante ou associée avec des chefs qui sont de la génération juste avant moi, qui ont le DADSM, et qui viennent principalement du milieu amateur et de l’orchestre d’harmonie avant de se professionnaliser. Il s’agissait d’attester de mon expérience avec les orchestres amateurs, pour mes futures candidatures, mais aussi pour moi. Il y a très peu de concours de direction d’orchestre comme celui-ci. C’est donc un diplôme complémentaire qui s’ajoute à ceux que j’avais déjà. En effet, mes diplômes de l’enseignement supérieur attestent de mes compétences côté professionnel, tandis que le DADSM prouve que je peux travailler avec les amateurs.

On a rarement l’opportunité de travailler avec des harmonies professionnelles.

La première partie du DASM concerne des épreuves écrites : orchestration, écriture, culture. Puis il y a des exposés, en l’occurrence cette année sur la place des femmes dans le milieu artistique. J’ai la chance d’être encore en formation, plongée dans le cursus théorique. La préparation du DADSM se conciliait donc parfaitement avec mes études. La deuxième partie du DADSM est consacrée à la direction de l’ensemble, un travail de répétition et de filage. Cette année nous avons dirigé l’Orchestre d’harmonie de l’Artillerie (Lyon), avec la Symphonie brève de Maurice Faillenot et les Cinq études balkaniques. On a rarement l’opportunité de travailler avec des harmonies professionnelles, tout simplement parce qu’il n’y en a pas en dehors des militaires, c’était donc très intéressant de diriger cet orchestre, une très belle expérience.

Concernant la place des femmes dans la direction des orchestres, voyez-vous un changement dans les mentalités actuelles ?

Le milieu de l’orchestre était à l’origine complètement fermé aux femmes, aussi bien pour les musiciens que les chefs. Quelques musiciennes ont pu intégrer l’orchestre grâce aux concours à l’aveugle, derrière le paravent. Pour les cheffes cela a mis un peu plus de temps. En 1930, la première femme cheffe en France, Jane Evrard, a dû créer un orchestre uniquement constitué de femmes pour pouvoir diriger son propre ensemble.

Aujourd’hui les choses changent car les mentalités évoluent. Je n’ai jamais rencontré de problèmes en arrivant devant les ensembles. À partir du moment où quelqu’un est compétent on se pose moins la question du sexe. Il y a aussi des dispositifs qui se mettent en place, comme des masterclass, des bourses pour les jeunes cheffes… Aujourd’hui on est arrivé à la parité dans les classes de direction d’orchestre, voire parfois avec plus de filles. Beaucoup de cheffes sont nommées à la tête des orchestres à l’international. Il y a aussi de plus en plus de modèles pour que les jeunes filles s’identifient à ce métier, qui en lui-même est déjà assez mystérieux !

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Comment avez-vous vécu le confinement ?

Le Covid est arrivé au moment où j’avais terminé mes projets musicaux. On venait de faire beaucoup de créations et de concerts, dans un rythme soutenu. S’arrêter du jour au lendemain était à la fois reposant pour avancer sur d’autres projets, mais aussi une rupture d’énergie et d’adrénaline très étrange. J’ai gardé un lien avec les orchestres de jeunes en leur envoyant des musiques à écouter, de nouvelles partitions pour qu’ils travaillent individuellement chez eux, mais pas de travail en visio. Avec les orchestres amateurs, nous avons surtout pris le temps de réfléchir au programme à travailler à la reprise.

Ce qui est formidable aujourd’hui c’est de voir que la musique reprend, que les musiciens sont au rendez-vous, que personne n’a abandonné, au contraire cela a même remotivé les troupes. Le collectif a une force incroyable.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite de votre carrière ?

J’espère continuer à travailler avec les orchestres de jeunes pour l’aspect pédagogique, les orchestres amateurs pour le formidable contact humain et la petite étincelle qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, et aussi les orchestres professionnels. De ce côté, je vise les postes de chef assistant à l’international, ce qui m’intéresse beaucoup en termes d’échanges culturels et de richesse d’apprentissage.