Propos recueillis par Caroline Rainette
15 juin 2022
Compositeur, chef d’orchestre et percussionniste français, Thierry Deleruyelle nous raconte son travail avec les orchestres amateurs.
Racontez-nous votre parcours
Percussionniste de formation, je suis diplômé du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (CNSM) en percussion, harmonie, contrepoint, fugue et formes. J’ai ensuite rejoint l’orchestre de la Police Nationale en tant que percussionniste, tout en poursuivant en parallèle mon travail de composition.
Je n’ai pas fait d’études d’écriture au sens strict, le conservatoire étant plutôt axé sur la composition contemporaine. J’ai préféré étudier les styles ancestraux, comme le faisaient autrefois les compositeurs, afin de connaître et maîtriser les différents styles et techniques d’écriture. J’ai ensuite commencé à composer seul, en faisant des essais.
En 2007, ma carrière de compositeur a pris un tournant international, en étant édité chez les prestigieuses éditions De Haske Hal Leonard. Depuis 2016, la composition prend dorénavant plus de place, et j’ai dû faire des choix entre l’instrument et l’écriture, trouver un équilibre.
L’instrument et la composition sont-ils complémentaires ?
Etant musicien et compositeur, je joue et compose différemment, ce sont des vases communicants. Au début de l’apprentissage, cela peut être une difficulté de faire les deux, mais ensuite c’est une richesse. L’écoute est différente, et la compréhension de la technique d’écriture permet de jouer différemment. Par ailleurs, mon parcours classique m’a fait acquérir une oreille très fine.
Ma méthode de composition est assez variée : à la table, parfois au piano, ou encore sur l’ordinateur. Tout dépend de ce que j’écris, de mes idées. Je n’ai pas non plus une écriture linéaire, c’est un mélange, un travail de chaque mesure.
Parlez-nous de vos deux récentes créations : Buffalo Bill et Supernova
L’orchestre a commencé à travailler la pièce seul, avec quelques échanges entre le chef, Sylvain Dutouquet, et moi. Puis j’ai été invité à le diriger en répétition, ce qui est l’occasion de travailler l’œuvre bien sûr, mais surtout de raconter l’histoire de la pièce, d’expliquer comment elle a été écrite, construite, échanger, ce qui est absolument primordial. Pour moi, une commande n’est pas uniquement une musique écrite sur partition, c’est aussi un échange humain avec le chef et les musiciens, et c’est la raison pour laquelle je rencontre tous les orchestres qui me commandent une œuvre.
Supernova est une pièce issue du projet initié en 2020 par la CMF. Tout le monde pensait alors que la pandémie se terminerait au bout d’un an, aussi devais-je livrer la pièce rapidement pour la sortie de crise. La CMF s’attendait en effet à une reprise compliquée avec des différences d’effectifs, de motivation, d’envies… et souhaitait apporter un projet commun à tous les ensembles, construit autour de la solidarité : une musique d’un niveau accessible pour tous, très festive, et qui puisse convenir à un maximum d’orchestres et de musiciens. C’est donc une pièce courte (5 minutes), un peu pop.
Je l’ai intitulé Supernova, car la supernova est une étoile en fin de vie qui, quand elle explose, libère tellement d’énergie et de lumière qu’elle est visible depuis la terre. Je trouvais cette parabole intéressante par rapport à l’idée de la CMF d’avoir un renouveau dans les orchestres : une fin de cycle avec l’épidémie, difficile pour beaucoup, suivi d’une renaissance plus éclatante encore où chacun a pu prendre conscience de l’importance des échanges humains. En raison de la durée de la crise sanitaire, la création a seulement eu lieu le 7 mai 2022 par l’Orchestre d’Harmonie d’Auxerre.
Enregistrement MIDI de Supernova :
Il faut que les orchestres, les chefs, osent faire des projets, c’est ce qui sauvera la pratique amateur.
Il faut que les orchestres, les chefs, osent faire des projets, c’est ce qui sauvera la pratique amateur.
Quel est votre regard sur la pratique amateur ?
Les orchestres amateurs sont essentiels, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je fais ce métier. La relation avec les amateurs est évidemment différente de celle d’un orchestre professionnel, mais tout aussi riche. Les orchestres amateurs réservent un très bel accueil à la création, à la nouveauté, à l’échange, au projet. C’est moteur pour tout le monde et cela dynamise l’orchestre. Le milieu amateur peut être très performant et en demande. Malheureusement, certains ne savent pas comment faire, ou ont « peur » d’inviter un compositeur, un chef, un soliste, alors que c’est aujourd’hui très simple grâce aux réseaux sociaux. A mon sens, il faut que les orchestres, les chefs, osent faire des projets, c’est ce qui sauvera la pratique amateur. Qu’on le veuille ou non, le modèle a changé en matière de pratique musicale et amateur. En outre, on fait face à une multitude de loisirs possibles et peu chers. La musique en amateur peut rester attractive si elle apporte du projet, de la nouveauté, c’est cela qui intéresse les jeunes. On doit donner une autre image que celle de l’orchestre d’harmonie du 8 mai et du 11 novembre – même si ceci reste essentiel pour le devoir de mémoire -, il faut trouver de nouveaux projets pour dynamiser, créer du lien humain et social.
Même si cela demande un peu de moyens financiers, tous les orchestres peuvent trouver le projet adéquat, avec des pièces plus courtes, moins d’instruments, etc. Et ceci vaut quel que soit le niveau de l’orchestre. Certains chefs osent à peine me contacter, mais je le répète : le niveau n’a pas d’importance, le compositeur s’adapte à l’orchestre, c’est le principe même de la commande. Il y a un répertoire pour chaque orchestre.
L’orchestre d’harmonie amateur a une énorme richesse : celle d’avoir des personnes de tous âges, de tous niveaux, chacun devant y trouver sa place et y prendre plaisir.
Comment travaillez-vous avec les orchestres amateurs ?
Quand un orchestre m’invite, je découvre les musiciens, j’apprends à les connaître, puis très rapidement j’arrive à cerner où peuvent être les difficultés. Il faut alors trouver les mots pour les faire avancer, pour qu’ils se sentent à l’aise avec la musique, et ma battue lorsque je dirige. L’orchestre d’harmonie amateur a une énorme richesse : celle d’avoir des personnes de tous âges, de tous niveaux, chacun devant y trouver sa place et y prendre plaisir. Or, et c’est ce qui est très intéressant avec une commande – outre le fait de recevoir une œuvre pour l’orchestre –, il n’y a aucune version de référence de l’œuvre. Les musiciens l’entendent avant moi, et ce sont eux, musiciens amateurs, qui créent cette nouvelle œuvre, à chaque mesure, qui se l’approprient, l’appréhendent et la défendent. Évidemment cela génère un peu de doute, d’instabilité, puisqu’on ne peut pas l’écouter, elle n’existe pas. Quand j’arrive, il y a d’une part une sorte de reconnaissance de leur travail, mais surtout des réponses à leurs questionnements. Et cet aspect est particulièrement intéressant et enrichissant : le questionnement vient avant les réponses. C’est assez fréquent dans le milieu professionnel, aussi est-ce formidable que le milieu amateur puisse expérimenter la même approche : l’orchestre est obligé de se livrer à une part d’interprétation. Quand je découvre leur travail, certaines propositions me plaisent, d’autres un peu moins, d’autres sont différentes de ce que j’avais prévu… C’est passionnant car on peut échanger, ce qui est le plus important.
2022 est une année riche pour vous en termes de créations
Cette année 2022 est très riche de dates de créations, étant donné que tout s’est arrêté pendant deux ans. Mais certaines sont encore incertaines… Comme cette création au Musikverein de Vienne avec l’orchestre Néerlandais, initialement programmée en 2020, reprogrammée en 2021, et qui pour l’instant est en suspend sans savoir si cela pourra se faire, ce qui est très frustrant.
J’ai récemment été très ému que le Cory band, meilleur brass band au monde, ait choisi une de mes pièces, No man’s land, pour défendre son titre au championnat d’Europe. Le chef, Philip Harper, avait choisi l’œuvre avant le Covid, sous exclusivité et secret. C’est donc un projet qui date de fin 2019, et qui a enfin pu se réaliser en avril 2022. C’était incroyable.
Je suis par ailleurs en train de créer un cycle d’œuvres de pièces de championship pour brass band. Tous les dix ans, j’essaie de créer une pièce qui se rapporte à un évènement, avec pour point commun l’humanité :
- Fraternity, qui traite de la fraternité dans le travail à travers les catastrophes minières : en 1906, alors que les relations entre Français et Allemands sont déjà très tendues, ces derniers viennent sauver des Français coincés au fond d’une mine.
- No man’s land, qui aborde le sujet de la guerre
- Crazy twenties, qui nous plonge dans les années 20
- enfin je viens tout juste de livrer le 4ème volet, que je ne peux pas encore dévoiler !
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
J’ai différentes œuvres à écrire, les orchestres ont repris avec de nombreux projets, donc beaucoup de musiciens à rencontrer. J’espère donc que la pandémie soit définitivement derrière nous, pour que l’ensemble de la musique puisse repartir réellement, avec une lumière éclatante comme la supernova !