Par A.P–R
15 juillet 2022
Tendanciellement, la pratique musicale amateur en France s’est longtemps appuyée sur le bénévolat. Si tel est toujours le cas, un ensemble de contingences sociales, économiques et culturelles l’ont cependant amenée à professionnaliser partiellement son encadrement. Ce faisant, et sans aucune préméditation, elle représente aujourd’hui un secteur créateur d’emplois. Comment cela s’est-il produit ? Un regard historique porté depuis l’Institution Orphéonique jusqu’à nos jours permet justement de mieux comprendre l’évolution du phénomène.
D’un encadrement bénévole à salarié
Exemple singulier de culture populaire, l’Institution Orphéonique désigne la multitude des sociétés chorales et instrumentales ayant émergé au cours du 19ème siècle. Rassemblés autour de la pratique amateur, les musiciens qui la composent ne sont logiquement pas rémunérés, exception faites des « primes en espèces » ponctuellement reçues par les ensembles victorieux des concours alors organisés. Mais si ces musiciens ne sont pas professionnels, leurs sociétés musicales n’en sont pas moins structurées autour de leur profession. En effet, entreprises et corps de métiers se dotent presque systématiquement d’une société musicale affiliée. C’est ainsi qu’apparaissent successivement des orphéons aux noms significatifs, comme l’Harmonie des mineurs de Douai en 1867 ou la Fanfare des fondeurs de Port-Brillet en 1878[1]. Plus tard, en début de vingtième siècle et devant une institution orphéonique en manque d’effectifs, les employeurs disposant d’une société musicale assurent, dans leurs offres d’emplois, des postes à qui serait parallèlement musicien. En 1901, une usine de gaz recherche par exemple « un ouvrier plombier » pouvant tenir une « partie de piston-solo » de même qu’en 1904, de « bons musiciens » se verront garantir un « travail annuel à l’usine Solvay de Dombasle[2] ».
Mais l’encadrement de ces sociétés musicales, s’il s’adosse à des structures employeuses, n’est cependant assuré, à grande majorité, que par le dévouement invétéré de bénévoles. Certes, l’on trouve quelques traces de rémunération pour la direction d’ensembles dans le courant du 19ème siècle[3]. La chose reste cependant assez peu répandue. Il en sera de même lorsque que l’institution orphéonique deviendra la Fédération Musicale de France (FNF) puis la confédération que l’on connait aujourd’hui. En témoigne Maurice Adam, président de la CMF de 1991 à 2005 : « Dès l’origine de notre mouvement, et pendant des décennies, nos formations musicales ont existé grâce au bénévolat, que ce soit sur le plan administratif ou technique[4] .» Cependant, devant la chute croissante du nombre de sociétés musicales et l’abaissement du niveau de leurs enseignements en deuxième moitié de 20ème siècle[5], le bénévolat semble rencontrer certaines limites et la professionnalisation de l’encadrement de ces sociétés est envisagée afin de redresser la situation. Dans ses colonnes, le Journal de la CMF aborde quelques fois la question, comme dans le numéro 199 de janvier 1967 traitant du métier de professeur[6] et dans le numéro 278 de févier 1975 alertant sur la difficulté pour les petites structures de salarier des postes de direction[7].
Il faut néanmoins attendre 1996 pour qu’une journée de travail et d’information y soit pleinement consacrée au palais du Luxembourg[8]. Tenue en présence de Maurice Adam, de divers présidents locaux ainsi que des ministères de la Culture et de la Jeunesse et des Sports, on y souligne la difficulté de professionnaliser les activités d’encadrements des sociétés musicales (professorat, animation, formation, administration). Clandestinement indemnisés, de nombreux bénévoles sont en situation irrégulière en raison d’une législation trop complexe et parfois inadaptée. Dans son intervention, le président de la fédération musicale de Franche-Comté Gérard Scheid réclame donc la création d’une convention collective propre à la CMF, ainsi qu’une simplification des démarches administratives[9]. Ces revendications trouveront leurs réponses au cours des années suivantes, avec l’adoption, en 2003, d’une loi régissant l’utilisation du « chèque-emploi associatif[10] » et la création de la « convention collective des organismes associatifs d’enseignement et de formation musicale et chorégraphique » permise par le travail de la fédération Rhône-Alpes sur près de trois ans[11].
Des problématiques toujours d’actualités
Toutes bénéfiques soient les améliorations obtenues au début des années 2000, la question de l’encadrement professionnel des associations musicales de pratique amateur reste aujourd’hui criante d’actualité à de nombreux égards. Dans le cadre d’une étude menée en 2014 par la CMF, plusieurs disfonctionnements relatifs à l’encadrement musical, pédagogique et administratif ont été identifiés. Certains ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux du siècle passé : maillage territorial inégal, non-respect de la loi sur le travail, inexistence de métiers dans la convention de l’animation[12]… Dans un domaine plus restreint, le secteur des pratiques chorales, et plus particulièrement l’Institut Français d’Art Choral (IFAC), fait aussi un état des lieux des problématiques contemporaines récemment accrues par la pandémie de coronavirus : confusion et manque de connaissance en terme de gestion administrative, pratiques d’emploi variables se faisant au détriment des conditions d’emploi et de formation, difficulté de recrutement de nouveaux chefs de chœur, demande croissante de rémunération de la part de ces derniers[13]…
C’est pourquoi, comme ce fut le cas en 1996, un certain nombre de mesures ont été mises en place depuis quelques années. Créée en 2013 à l’initiative de la Fédération Musicale de Franche-Comté (FMFC), de la Fédération des Sociétés Musicale d’Alsace (FSMA) et de la CMF, la Mission Calliope et Euterpe travaille, dans cette perspective, à la certification et la qualification des métiers encadrant le vaste tissu associatif qu’elles rassemblent. L’édition, en 2017, de son Guide à l’intention des établissements d’enseignement et de pratique musicale en milieu associatif[14] constitue, à ce titre, un document de référence. En plus d’y dresser le constat des dysfonctionnements susmentionnés, l’encadrement professionnel y est rigoureusement clarifié par la présentation de « fiches emplois » détaillant les différents métiers propres au secteur (professeur, chef d’orchestre, coordinateur, directeur, encadrant) de même que la formation et le niveau de compétence requis pour chacun d’entre eux.
Historiquement, l’édition d’un guide à ce sujet n’est pas nouvelle. Au seuil du 20ème siècle, l’essor de l’Institution Orphéonique avait déjà donné lieu à la parution de traités théoriques et pratiques tels que ceux de Clodomir et Louis Dessane en 1873, de Guilbaut en 1894 ou de Reuchsel en 1906[15]. Si les préoccupations n’étaient pas exactement les mêmes qu’aujourd’hui, ils se donnaient pour objectif commun de faciliter la création d’orphéons. Toujours dans cette optique, l’IFAC a également fait paraitre en 2013 son Guide pour l’engagement d’un chef de chœur par un chœur[16] grâce au concours de plusieurs collaborateurs[17]. Devançant la Mission Calliope et Euterpe de quelques années, il traite du recrutement spécifique des chefs de chœur et précise leurs modalités d’emploi (contrats de travail, grilles tarifaires). Enfin, en vue d’actualiser ce travail, une enquête nationale est actuellement en cours afin d’évaluer la pertinence d’une certification reconnaissant les compétences professionnelles des actuels chefs de chœurs amateurs souhaitant être rémunérés.
En définitive, qu’il s’agisse des anciennes sociétés musicales autant que des associations contemporaines, on constate rétrospectivement une professionnalisation de l’encadrement de la pratique musicale amateur. Fruit de multiples facteurs, ce phénomène a ceci de particulier qu’il semble continuellement se réadapter au regard des évolutions conjoncturelles. Nécessaire, cette permanente réadaptation permet de satisfaire au mieux les attentes et besoins de chacun, encadrants comme encadrés, et de faire ainsi prospérer le dynamisme musical du paysage associatif français.
[1] GERBOD Paul, « L’institution orphéonique en France du XIXe au XXe siècle. », Ethnologie Française, vol. 10, n°1, 1980, p. 31.
[2] Ibid. p.35.
[3] « Ce sont le plus souvent de solides formations dirigées par des hommes de métier rétribués par la direction, groupant des ouvriers et employés astreints aux répétitions. » Ibid. p.31-33.
[4] ADAM Maurice, « Discours d’ouverture », Journal de la CMF, n°464, juin 1996, p.7.
[5] Maurice Adam s’exprime d’ailleurs sur la cause de ce phénomène : « Aujourd’hui elles [les musiques militaires] se sont raréfiées, tout comme les sociétés musicales d’entreprises qui, touchées par la crise et le redéploiement économique et industriel, ont presque toutes disparu. » Ibid. p.8.
[6] « Historique de l’enseignement officiel musical en France », Journal de la Confédération Musicale de France, n°199, janvier 1967, p. 5.
[7] PETIT, « Où sont nos remplaçants directeurs de sociétés musicales ? », Journal de la Confédération Musicale de France, n°278, février 1975, p.1.
[8] « L’emploi culturel dans les associations musicales », Journal de la CMF, n°464, juin 1996, p.7-19.
[9] SCHEID Gérard, « Intervention de Gérard Scheid, président de la fédération musicale de Franche-Comté », Journal de la CMF, n°464, juin 1996, p.9, 10 et 11.
[10] « Infos CMF – Un chèque d’emploi pour les associations », Journal de la CMF, n°507, août 2003, p. 5.
[11] « La convention collective des organismes associatifs d’enseignement et de formation musicale et chorégraphique », Journal de la CMF, n°522, février 2006, p.46. Précisons que cette convention collective n’est, à l’époque, applicable qu’à l’échelle régionale.
[12] https://www.cmf-musique.org/sinformer/lemploi-dans-les-associations/emploi-formation-mission-calliope-et-euterpe/ Dernière consultation le 10/05/2022.
[13] Ce diagnostic a été posé dans le cadre d’une enquête nationale sur l’évolution de l’encadrement des chœurs amateurs par les partenaires suivants : l’Institut Français d’Art Choral (IFAC), les fédérations À Cœur Joie et Confédération Musicale de France, l’INECC Mission Voix Lorraine, CEPRAVOI / Mission Voix en région Centre-Val de Loire, et le laboratoire CEREGE de l’Université de Poitiers.
[14] http://federationmusicalefc.fr/mission-calliope-euterpe Dernière consultation le 12/05/2022.
[15] GERBOD Paul, op. cit., p.33.
[16] 2013_guide_chef_choeur.pdf (artchoral.org) Dernière consultation 11/05/2022.
[17] En voici la liste exhaustive : Ancoli, Confédération Musicale de France et la Fédération Française des Petits Chanteurs – Pueri Cantores ainsi que le Groupe Voix de la Plate-forme Interrégionale d’échange et de coopération pour le développement culturel représenté par Domaine Musiques Nord – Pas-de-Calais.