Afin d’enrichir le répertoire de l’orchestre d’harmonie et de promouvoir la carrière de jeunes compositrices de moins de trente-cinq ans, La Sirène a créé en 2020 un concours international sur le thème “Miroirs”. Pensé sous la forme d’un atelier-concours, ce projet vise à sensibiliser les compositrices aux spécificités de l’orchestre d’harmonie, à faire connaître et reconnaître cette écriture. Au cours d’un processus de sélection en deux temps, le jury a étudié 37 candidatures de 16 nationalités différentes. Trois lauréates (Silvia Berrone, Lisa Heute, Diana Ortiz) ont été sélectionnées pour composer chacune une œuvre originale d’environ 7 minutes pour orchestre d’harmonie amateur de niveau 3e cycle. Une commande a également été passée auprès de la marraine du concours, Violeta Cruz, pour une œuvre originale d’une durée de 15 minutes.
La remise des prix eu lieu à l’issue de la création des œuvres le 3 avril 2022, après la délibération du jury et du recueil des votes du public.
Jury : Violeta Cruz (présidente), Maxime Aulio (chef invité), Pedro Garcia Velasquez (représentant de BabelScores©), Pascale Jakubowski (représentante de l’association Plurielles 34), Jane Latron et Grégoire Michaud (représentant.es de l’équipe de direction musicale de La Sirène), Alice Cherrier et Iseline Peyre (représentantes des musicien.nes de La Sirène)
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Les œuvres des compositrices
Diana Margarita Ortiz
(Des reflets, réfractions et renoncements)
Lisa Heute
Et aucun ne me refléta
3e prix
Violeta Cruz
Marraine du concours
Entretiens croisés
Par Caroline Rainette
15 novembre 2022
Créée en 1874, La Sirène est l’un des plus anciens orchestres d’harmonie amateur indépendant de la capitale. Entretiens croisés autour du concours Reflets de femmes avec : Quentin Llopis, président de La Sirène / Alice Cherrier, flûtiste, vice-présidente de La Sirène / Grégoire Michaud, chef d’orchestre de la Sirène /Jane Latron, cheffe d’orchestre invitée / Violeta Cruz, marraine du concours et compositrice / Lisa Heute, compositrice / Silvia Berronne, compositrice / Louisa Torres, percussionniste / Tess Delepierre, trompettiste / Martina Machet, saxophoniste.
Parlez-nous de la Sirène de Paris
GREGOIRE : C’est un orchestre d’harmonie extrêmement dynamique, qui va bientôt fêter ses 150 ans, avec un public très jeune et une grande implication de tous les musiciens.
JANE : En effet, c’est une belle histoire, depuis 1874 ! Pour ma part, j’ai intégré l’orchestre à l’âge de 14 ans, en tant que petite clarinette, en fond de rang, essayant de jouer mes petites notes, et c’est dans ce même orchestre que j’ai fait la rencontre d’un instrument qui a beaucoup compté pour moi : la clarinette basse. Lorsque j’ai commencé mes études de direction, le chef qui dirigeait alors m’a encouragé et je me suis ainsi retrouvée à diriger La Sirène, 80 musiciens, dans le cadre d’un concert pour lequel je n’avais eu que deux semaines de préparation. J’aime la dynamique de groupe, travailler, partager avec beaucoup de gens, pouvoir proposer mon interprétation d’une œuvre, porter un regard sur une composition, j’aime cette énergie qu’on se renvoi avec les musiciens.
ALICE : La Sirène, ce sont des moments de vie où on se voit, où on s’écoute, où l’on exprime quelque chose tous ensemble dans la même direction. C’est l’occasion de rencontrer des gens très différents, qui viennent des quatre coins de la France car 75% des musiciens de l’orchestre viennent d’harmonies de province, souvent dans lesquelles ils étaient depuis l’enfance.
MARTINA : Je suis italienne, arrivée en 2013 à Paris. Pendant un an je n’ai pas fait de musique, ce qui a commencé à me manquer. J’ai été ravie de découvrir La Sirène, cet orchestre très jeune, qui propose des programmes variés et beaucoup d’activités. Et puis faire de la musique en amateur est un vrai plaisir car il y a beaucoup moins de pression et de stress que pour les professionnels.
QUENTIN : Pour entrer à La Sirène il faut un niveau équivalent début 3ème cycle, afin d’être capable de jouer les différentes pièces du répertoire de l’orchestre. On pourrait considérer qu’il y a une sorte d’élitisme, mais nous sommes très engagés dans nos actions, notamment en amenant nos concerts dans des quartiers de vie prioritaire ou des collèges ZEP par exemple. Aujourd’hui La Sirène s’inscrit en effet dans un projet artistique et culturel territorial, ancré localement avec la mairie du 14eme arrondissement de Paris, et tourné vers l’ESS. Après des années de négociation, nos locaux sont en reconstruction, et nous devrions pouvoir ouvrir en septembre 2023 avec un auditorium pouvant accueillir jusqu’à 200 musiciens en répétition, des salles de répétitions, un espace de stockage.
Parlez nous de l’harmonie, de son répertoire et de la pratique amateur
GREGOIRE : L’orchestre d’harmonie reste aujourd’hui encore très dynamique, grâce à une forte pratique amateur qui permet de conserver une bonne énergie. Il y a également un vivier de compositeurs qui s’insèrent dans ce maillage sur tout le territoire. C’est aussi une musique qui peut se jouer dans la rue, c’est d’ailleurs le fondement de l’harmonie : pouvoir jouer en extérieur contrairement aux orchestres à cordes qui jouaient plutôt en intérieur. On retrouve ici l’héritage de la Révolution française : on a laissé les cordes aux nobles et à la bourgeoisie, et le peuple s’est saisi des instruments à vent pour aller jouer en extérieur.
QUENTIN : L’harmonie est un lieu de mixité sociale et d’intergénérationnalité. Dans certains villages, l’orchestre représente le seul évènement culturel. A La Sirène nous défendons un répertoire d’orchestre d’harmonie, qui est différent du répertoire symphonique puisqu’une harmonie n’est composée que d’instruments à vents et de percussions. C’est un peu l’évolution de la fanfare du début du 20ème siècle, ce qu’était d’ailleurs La Sirène à ses débuts, évoluent dans les années 50-60 en orchestre d’harmonie.
JANE : L’orchestre d’harmonie c’est un mélange de niveaux différents, ce sont des musiciens qui ont un métier à coté, qui se réunissent le dimanche pour faire de la musique tous ensembles, partager des moments musicaux et humains.
VIOLETA : Le vrai défi c’est qu’il n’y a pas « un niveau » amateur, mais « des niveaux » amateurs, au sein même de l’orchestre il y a des niveaux très différents. Il faut forcément ajuster certaines choses qui ne correspondent pas au niveau demandé par la pièce. Il faut savoir faire des compromis quand on voit que les musiciens sont trop fragiles à certains endroits, ne se sentent pas à l’aise. C’est aussi ça le bonheur de travailler avec un ensemble, malgré le temps réduit, on peut ajuster en permanence.
LOUISA : En tant qu’amateurs, nous avons moins de facilités techniques que les professionnels, nous sommes généralement plus dans la recherche que dans l’expression. En revanche il y a la magie du concert, où l’œuvre se produit, où elle nous dépasse, elle sort comme elle n’était jamais sortie avant en répétition.
LISA : Je compose depuis quelques années, mais pour la première fois pour orchestre d’harmonie. Cela nécessite de bien connaitre les timbres des instruments pour comprendre ce qu’il est possible de faire avec cet effectif qui est assez important. L’harmonie propose un son assez massif, avec beaucoup de graves, de couleurs, des origines plus populaires aussi dans la musique, et un aspect collectif très intéressant. C’était donc une nouveauté pour moi d’écrire pour cet ensemble, découvrir comment cela se passe avec un aussi grand effectif, voir comment ma musique se transmet aux musiciens et comment eux peuvent la transmettre au public, ce qu’on arrive à construire ensemble. Evidemment, avec un orchestre amateur les enjeux sont différents, il faut le prendre en compte et s’adapter, mais leur grande force tient dans l’envie qu’ils ont d’être ensemble, et cette envie peut produire des choses très belles. Le plus important c’est ce besoin et cette envie de créer ensembles.
Pourquoi avez-vous décidé d’organiser un concours exclusivement pour compositrices ?
JANE : Avec le projet de concours de jeunes compositrices nous souhaitions mettre en avant et en lumière quelques-unes de ces jeunes femmes qui composent, ainsi que promouvoir la création pour orchestre d’harmonie. Les créations sont en effet parfois trop compliquées à jouer pour un orchestre amateur. Les compositeurs écrivent pour un effectif très précis, avec un certain nombre d’instruments et de parties solos, or, en ce qui nous concerne en tant qu’orchestre amateur de 80 musiciens, nous ne sommes plus du tout dans les effectifs imposés par certaines créations. Pour ce concours nous avons donc donné quelques lignes directrices aux compositrices, notamment le niveau, l’effectif et les difficultés techniques pour un orchestre amateur. Elles nous ont donc proposés des pièces totalement abordables pour nos musiciens, ce qui est très plaisant et encourageant pour nous tous.
ALICE : Le but de ce concours est d’avoir des femmes qui travaillent sur l’orchestre d’harmonie. Avant de mettre en place ce concours, nous avons cherché des compositions de femmes à jouer, mais nous n’en n’avons pas trouvé spécifiquement pour orchestre d’harmonie, à l’exception de quelques-unes comme Ida Gotkovsky. On s’est donc rendu compte qu’il était nécessaire de passer par la création, et ainsi répondre aux besoins d’autres orchestres qui, comme nous, souhaitaient jouer des œuvres de femmes. Nous avons alors lancé un appel à projet, qui a reçu 37 candidatures de 16 nationalités différentes. Nous étions très heureux d’en recevoir autant, on ne s’y attendait pas !
VIOLETA : La Sirène m’a contacté pour être la marraine du concours, ce dont je suis très heureuse et honorée. J’ai moi-même écrit une pièce pour l’orchestre, j’ai participé à la sélection des candidates et je les ai accompagné sur une partie du processus d’écriture pour leur donner des conseils quand je voyais qu’elles sortaient un peu du cadre, notamment par rapport aux possibilités de l’orchestre qui sont différentes d’un orchestre professionnel. Etre membre du jury, c’est une responsabilité et une chance car on participe politiquement à la construction d’un projet.
ALICE : Ce concours était réservé aux femmes, cependant il s’agissait moins d’exclure les hommes que d’inclure les femmes. On s’est demandé pourquoi très peu de femmes avaient écrit pour harmonie, et on en est arrivé à la conclusion que l’orchestre d’autrefois était issu d’une longue tradition militaire, donc masculine. Par ailleurs il ne faut pas oublier que le milieu de la création en général n’est pas non plus propice aux femmes.
VIOLETA : Nous sommes à un moment crucial de l’histoire, et je pense que ce concours permet d’encourager les femmes, de les convaincre qu’elles aussi peuvent être compositrices et peuvent être jouées, notamment dans un orchestre d’harmonie où il y a très peu de compositrices. Personnellement j’aimerai que cette discrimination positive puisse s’arrêter, il faut que les femmes qui composent devienne une normalité.
LOUISA : Cela fait 5 ans que je suis à La Sirène. J’ai fait partie du jury de musiciens, ce qui a été une expérience très intéressante car il fallait imaginer les œuvres simplement à la lecture des partitions, ce qui est plutôt compliqué, c’est un vrai métier ! Ensuite nous avons dû mettre en place les créations sélectionnées sans aucun repère puisque les œuvres n’ont jamais été jouées, ce qui demande un vrai travail d’équipe. La Sirène est un orchestre amateur qui s’est toujours donné des ambitions professionnelles, qui a toujours défendu un certain répertoire, un répertoire d’harmonie, un répertoire français, qui maintenant défend un répertoire contemporain et féminin. Avec ce concours, il y avait donc une volonté de faire quelque chose de nouveau, de progressiste pour la société. Mais, pour ma part, je n’ai pas l’impression de jouer des œuvres de femmes mais de personnes qui ont une belle carrière devant elles. On a restreint ce concours aux femmes, car elles ont plus de mal à faire entendre leurs voix, mais ce qui reste le plus important c’est la qualité du travail.
TESS : J’ai 18 ans et je suis à La Sirène depuis 5 ans. Je trouve ça incroyable de jouer des partitions de femmes. Sans rentrer dans les clichés, je trouve qu’il y a plus de sensibilité, plus d’accords, plus de place à la respiration, à quelque chose de plus calme, de plus serein. Je n’ai jamais joué d’œuvre de femme auparavant, et je suis très fière de cette première fois.
Parlez nous du travail sur des œuvres contemporaines
MARTINA : Chacune des compositrices s’est appropriée le thème des miroirs de façon très différente. Silvia s’est inspirée du travail en atelier, on imagine les artisans fabriquer les miroirs. Lisa est partie d’une œuvre de Borges, en imaginant des univers qui pourraient se refléter dans différents miroirs et qui s’entrechoquent. Et l’œuvre de Diana donne l’impression qu’elle s’est inspirée de surfaces comme l’eau ou les nuages, avec leurs façons particulières de refléter la lumière.
GREGOIRE : Silvia vient de la musique électronique, ce qui est dans l’air du temps. On compose de plus en plus à l’aide de l’ordinateur, et la porosité et les rencontres entre la musique acoustique et électroacoustique sont des points de rencontre très intéressants. Dans les processus compositionnels l’ordinateur peut proposer des répartitions harmoniques, des choix auxquels nous n’aurions pas forcément pensé.
LISA : Le premier travail du chef, Grégoire, a été de faire un décryptage de ma partition, ensuite il m’a posé des questions plus spécifiques. Je lui ai raconté dans quel contexte j’avais écrit la pièce, et je lui en ai fait écouter d’autres afin qu’il comprenne mon univers, très imagé, lié à la littérature, en l’occurrence Borges sur cette œuvre.
SILVIA : La musique aide à ouvrir l’esprit et l’écoute. Quand on écrit, quand on joue, on découvre un côté mathématique que je trouve beau. Une pièce est une construction architecturale. Il y a aussi un aspect lié à la littérature, car la musique raconte quelque chose, c’est un langage qui se développe. Pour composer, j’avais des images sonores en tête, des gestes artisanaux, que j’ai essayé de mettre en musique. Et bien sûr j’ai toujours gardé en mémoire pour qui j’allais écrire. Cette composition est mon œuvre, que je confie au chef qui sait travailler avec l’orchestre pour faire sortir la musique que j’ai imaginé, créer les équilibres. J’aimerais d’ailleurs savoir le faire moi-même pour mieux faire comprendre ce que j’écris, faire passer mes émotions. Ce travail avec le chef d’orchestre a été particulièrement enrichissant. Cette découverte pour la première fois de notre musique est quelque chose de formidable, un aboutissement, cela fait énormément plaisir. On se rend compte que la musique est une œuvre vivante, un travail d’artisan, où il faut rester ouvert à la possibilité de faire des modifications pour améliorer encore.
LISA : La musique contemporaine peut être très riche et très variée, accessible aussi, sans être définie par une esthétique particulière, elle reste très ouverte. Chacun se nourrit de ses influences, avec la mondialisation les musiques d’autres cultures peuvent se refléter dans la création.
MARTINA : Ce ne sont pas des types d’œuvres auxquelles nous sommes habitués à La Sirène, elles sont assez difficiles à jouer et à écouter, et, un peu comme pour l’art contemporain, on a besoin d’être guidé par l’auteur pour comprendre l’œuvre et lui donner un sens. Quoiqu’il en soit, ces rencontres avec les compositrices ont été, pour nous musiciens, l’occasion d’explorer de nouveaux univers, de sortir des sentiers battus et d’élargir nos connaissances.
JANE : L’avantage du répertoire contemporain avec un compositeur vivant, c’est qu’il permet un échange, une recherche perpétuelle, au final on crée la pièce ensemble. La communication est en effet particulièrement importante pour comprendre et interpréter au plus près de ce que le compositeur a imaginé.
GREGOIRE : Mettre en musique une œuvre qui n’est pas la sienne est une force. Quand on est confronté à des questions de pondérations et d’équilibre entre les parties, être chef d’orchestre donne quelques outils pour comprendre la pensée des compositrices. Les échanges permettent ensuite d’avancer et de faire évoluer la musique. Pour faire une comparaison triviale, c’est comme la randonnée : on découvre un chemin, une nouvelle voie à explorer. D’où l’importance de communiquer avec tous les acteurs du projet pour éviter de se perdre, et puis creuser, mettre en lumière ce qu’on envie de porter, ce qui nous parait important. C’est un travail collectif avec les compositrices et avec l’orchestre, avec l’autre cheffe, Jeanne, avec qui je partage la direction d’orchestre, ainsi qu’avec toute l’équipe de La Sirène, pour donner toutes ces chances à ce projet et aller au bout des choses. Le chef a donc un rôle très important dans la conduite, la mise en confiance des musiciens, pour les faire dépasser les obstacles musicaux. Il se doit d’être extrêmement concentré et empreint de sobriété.